Prenant en compte les écosystèmes les plus naturels pour caractériser écologiquement les régions marocaines les plus favorables aux Lépidoptères, voici un rapide survol à l’usage de ceux qui nourriraient l’intention de prospecter le pays. Cette découverte guidée du Maroc des Papillons est proposée sans ambition et strictement dans l’objectif d’orienter le lépidoptériste visiteur vers quelques repères que sont les zones les plus sauvages et prolixes, libre à lui ensuite d’affiner ses recherches en se référant d’une part aux indications (distribution, cartographie, types d’habitats, phénologie, identité), mettant d’autre part à profit son propre instinct de prospection, sans lequel la démarche entomologique est vide de sens. Retourner éternellement vers les mêmes lieux d’observations relève du pèlerinage et n’est guère favorable à l’avancée de notre petite science. Après avoir fait connaissance avec quelques « mecques » de la lépidoptérologie marocaine, je ne saurais recommander de s’en évader. L’immensité du Maroc profond, notamment par pistes en véhicule tout-terrain (avec les recommandations respectueuses d’usage) et à pied au fil des pittoresques sentiers, permet d’envisager tôt ou tard quelques remarquables découvertes, ou re-découvertes compte tenu du nombre d’espèces estimées comme portées disparues et dont la présence secrète çà et là dans un djebel reculé ne fait guère de doute. Par exemple et entre autres lieux toujours favorables, des milliers de cols existant dans les montagnes marocaines, nous n’en connaissons entomologiquement même pas une centaine ! Alors pourquoi retourner sans cesse au Tizi-n-Test ? Un peu d’innovation et d’acharnement, écartons-nous des sentiers battus et rebattus, certains depuis le temps du protectorat ! Cette visite est proposée du nord au sud, selon une progression géographique traduisant un passage progressif de biocénoses strictement « européennes » et notamment méditerranéennes (Rif et Moyen Atlas), à celles d’influences biogéographiques nettement plus afro-érémiennes et saharo-arabiques, voir subtropicales (sud du Haut Atlas, Anti-Atlas), en passant par quelques refuges altimontains (M’Goun, Toubkal) protégeant de précieuses espèces relictes eurosibériennes et boréo-alpines. Ce panel diversifié d’habitats souvent très contrastés livre partout son lot d’endémiques et de sub-endémiques, indigènes qui concourent à la grande originalité de la faune maghrébine.
Savoir qu’au Maroc, par le jeu des latitudes et des altitudes, les Papillons toutes espèces confondues volent durant onze mois, voire toute l’année, permet d’envisager des départs instinctifs et strictement gouvernés par le désir des grand espaces. Bon voyage !
Le Nord rifain
Région la plus arrosée du Maroc, peu accessible par routes, les hauts reliefs du Rif occidental offrent encore un considérable potentiel de découvertes entomologiques dont l’intérêt majeur réside dans le caractère bético-rifain, à savoir qu’on y surprendra des entités tant ibériques que maghrébines. Pour ceux qui ne disposent que de courts séjours, ces prospections ne sont viables qu’à compter de juin, les mois printaniers étant le plus souvent caractérisés par une nébulosité tenace, des précipitations fournies et un froid souvent vif. Les chances de « sorties » sont donc fréquemment contrariées. Pourtant, la faune ne manque pas d’intérêt dès février, à la faveur de quelques éclaircies. Depuis la péninsule Tingitane et le Pays Jelaba jusqu’au Mont Tidiquin de la région « malfamée » de Ketama, en passant par bien des djebels forestiers où se manifestent des formations à Sapin du Maroc, à Cèdre de l’Atlas, à Chêne vert, à Chêne zéen, à Chêne tauzin, à Chêne-liège, où se développent aussi de riches matorrals pluristratifiés dominés par quelques Bruyères, d’Arbousier et de nombreux Cistes, le panorama est des plus variés. Même si le chemin rifain est pentu, on ne négligera pas les parties sommitales les plus écorchées où se localisent quelques espèces rupicoles et calcicoles, qui dans le Rif occidental sont toujours des présences intéressantes.
Une révision d’ouest en est des massifs les plus remarquables pour les Papillons mais d’un accès souvent peu aisé avec progression hasardeuse (les informations locales sont très aléatoires) permet de citer sans exhaustivité le Djebel Ben-Karriche (un « petit Pays basque » au brouillard tenace), le Djebel Bou-Hachem (considérable masse forestière aux multiples essences et dont les crêtes recèlent la cédraie la plus occidentale), le Djebel Kelti (peu abordable et dont les secrets entomologiques sont encore préservés), le Djebel Tassaot (belle sapinière en îlot sommital avec matorral prolixe en orée), le modeste Djebel Kelaa dont la visite est induite par tout séjour à Chefchaouen, la sapinière du Haut Djebel Tisouka dont le site précédent est une entrée en matière, le puissant Lakraa (Parc Naturel de Talassemtane) qui doit sa notoriété à tant de captures inédites depuis ces dernières décades, le Mont Tisirène où la cédraie mixte regorge de Rhopalocères sylvicoles et le Mont Tidiquin dont une piste, une fois découverte, permet une visite satisfaisante. A propos de pénétration en véhicule dans ceux de ces djebels qui sont accessibles, il convient de demander sur-place et de savoir qu’aucune traversée nord-sud n’est possible, seule la façade méridionale étant exploitable. Les abrupts du versant dominant la Méditerranée n’autorisent qu’une « chasse aux Papillons » précaire et pédestre, et les quelques routes figurées sur les cartes sont d’un intérêt entomologiquement nul. D’autres massifs valent le détour, notamment ceux situés au sud de la route Chefchaouen-Ketama, ou quelques autres plus à l’est dans la région de Targuist. Enfin, tout itinéraire un peu imaginatif dans les paysages collinéens situés soit dans la riante vallée de l’Oued Laou et particulièrement dans sa partie basse qui est aussi très pittoresque, soit entre Chefchaouen et Ouezzane (région des Beni-Routen) sera récompensé, y compris dans le finage des hameaux où la ruralité quelque peu moyenâgeuse qui règne permet l’heureuse préservation de quelques « jardins à Papillons ». Qui pourra dire ensuite que « leur » culture du Chanvre indien est écologiquement plus néfaste que « nos » déserts viticoles écocidés ? La plupart de ces habitats conviennent en premier lieu aux Papillons sylvicoles et sont le pays de cocagne des frondicoles qui parcourent inlassablement les allées forestières en juin-juillet, cortège roux évoluant entre la strate épaisse des Fougères aigle et la ramée des Chênes, des Cèdres et des Sapins.
Les espèces qui identifient cette belle éco-région, par ailleurs véritable terroir de traditions, sont succintement : Zerynthia rumina isabelae, Iphiclides feisthamelii, Euchloe tagis reisseri, Callophrys avis barraguei, Plebeius martini regularis, Polyommatus atlanticus weissi, P. albicans dujardini, Charaxes jasius jasius, Melitaea deione neonitida, Argynnis aglaia excelsior, A. auresiana hassani, Pseudochazara atlantis benderi, Berberia lambessanus, Pyronia tithonus distincta, Coenonympha fettigii inframaculata, C. vaucheri rifensis, C. arcanioides et quelques autres moins emblématiques. L’ombre de certains « fantômes » plane aussi sur les monts et les plaines du Rif, comme celle de Leptidea sinapis, dont on vient d’admettre à la fois la présence et… la probable extinction, Colias alfacariensis, de Iolana debilitata au Pays des Beni-Routen, de Pseudophilotes panoptes occidentalis aux abords du kartz de Ben-Karriche, d’un Aricia morronensis ou d’un Maurus vogelli (au choix !) sur quelques stations rifaines et inédites d’Erodium cheilanthifolium, d’un Polyommatus coridon ou de sa copie parfaite capturée dans le Rif oriental, même rumeur pour P. bellargus dans le Lakraa et Boloria dia setana dans le Bou-Hachem. Il convient enfin de résister à citer l’incroyable florilège de Zygènes exceptionnelles dont le Rif est une terre généreuse, car ces Insectes n’entrent hélas pas dans le cadre de ce livre.
Quand un groupe de noirs Berberia lambessanus se met à danser sur un abrupt de la façade méditerranénne, comme sur le Tassaot ou le Tizouka, le fantasme consiste à les imaginer blancs dans la Bétique de l’autre rive sous le nom de Parnassius apollo. Le face à face d’une rive à l’autre de ces grands volateurs à habitus contrasté est un des plus fameux clins d’œil biogéographique de cette Méditerranée occidentale.
Les Monts de l’Oriental
Pour ne présenter qu’un morne paysage mésétien de nappes alfatières à perte de vue et n’induire donc que quelques Satyrines spécialisées au bénéfice d’aléatoires accidents de terrain, les Hauts Plateaux de l’Oriental sont d’un médiocre intérêt pour le lépidoptériste qui y laissera tranquille tant l’herpétologue que l’ornithologue qui s’y attardent en connaissance de cause. Seuls les Monts de l’Oriental, ainsi nommés, sont le cadre de quelques habitats d’intérêt, notamment les Monts de Beni-Snassen (accès conseillé par les Gorges du Zegzel et Taforalt) où volent Iolana debilitata, Hipparchia hansii tlemceni et Coenonympha austauti, ainsi que toutes les collines au sud d’une ligne reliant El-Aïoun à Oujda (dont le Col de Jerada), où se manifestent tardivement le même Hipparchia hansii, H. powelli, Berberia abdelkader abdelkader et Coenonympha fettigii fettigii. Bien que dépourvus d’espèces exclusives, les Monts de Debdou et sa Gaada (univers tabulaire) sont aussi des terrains riches en habitats favorables. Avant de quitter l’Oriental, sur la route du Moyen Atlas en direction de Taza, on tentera de contacter Cigaritis zohra guercifi. A noter qu’à l’est du fleuve Moulouya, le naturaliste constate que la biocénose est celle de l’Algérie mitoyenne dont c’est ici l’extrémité de l’Atlas Tellien.
Le Djebel Tazzeka et le Moyen Atlas plissé
Le Djebel Tazzeka mérite une visite et son circuit de pistes forestières donne une idée du capital naturel que représente, au Maroc, la forêt et ses diverses essences. Au premier printemps et au sein d’une phytocénose à nulle autre pareille, on pourra admirer les fleurs d’une Violette endémique (Viola munbyana) qui tapisse la sous-cédraie près du sommet. Mais l’inventaire en Papillons reste inexplicablement modeste, ce qui n’est plus le cas, peu au sud, dans les hauts reliefs du Moyen Atlas septentrional où le continuum des Djebels Mousa-ou-Salah, Bou-Naceur et Gaberaal, globalement nommés Bou-Iblane, offre un cadre sans fin de prospections alpines. Par la piste du versant nord, on accède à quelques stations bien connues de longue date (comme celle boisée en Cèdres et en Thurifères de la Maison forestière de Tafferte, entre le Tizi-n-Tiskine et le Tizi-Bou-Zabel) et qui sont une entrée en matière lépidoptérologique quant à la faune médio-atlasique. Le versant méridional est plus difficile à aborder mais plusieurs pistes douteuses existent depuis la route qui mène de Guercif à Missour, notamment depuis Outat-Oulad-El-Haj. L’exploration depuis le sud-ouest et le Pays des Marmoucha est également digne d’intérêt. Le Bou-Iblane est aussi un double écotone du Moyen Atlas avec d’une part le Rif au nord (nombreux cas de convergences subspécifiques) et d’autre part la steppe subdésertique au sud, et la nature qui procède par transitions en témoigne par la composition de son cortège entomologique. Le contraste nord-sud s’y exprime par quelques étonnantes mitoyennetés, comme celles de Polyommatus albicans berber sur l’Hippocrepis du versant nord et de Berberia abdelkader taghzefti sur l’océan de Spartes du versant sud, ou encore de Zegris eupheme maroccana sur l’Isatis du tinturier d’une part et de Papilio saharae sur les touffes de Deverra d’autre part. En mission dans le Bou-Iblane, tout lépidoptériste garde en tête Polyommatus escheri ahmar, Petit Bleu dont nous sommes sans nouvelles depuis sa découverte parfaitement référencée (présence des types dans les collections de plusieurs musées) par Le Cerf en juin 1928. Pour accoucher une fois pour toutes de ses richesses, ce massif montagneux exige plusieurs traversées « sac au dos », et non quelques séjours-éclairs d’entomologistes de passage, souvent en vacances familiales et entre deux villes impériales.
Le Moyen Atlas tabulaire
Entre Meknès et Midelt, le Moyen Atlas humide de la cédraie reçoit la plupart des naturalistes étrangers tant il est fascinant et riche d’une biodiversité hélas de plus en plus amenuisée par la déconstruction de la forêt, le surpâturage intempestif et anachronique et la mort du sol que ces pressions induisent. Certaines stations auparavant très prolixes en Insectes et en plantes diverses, dont d’innombrables endémiques, sont en grave déclin ou définitivement dégradées, c’est le cas de la Source Vittel de l’Oued Tizguit à Ifrane, dont il ne reste rien sinon un champ de foire, de la plupart des biotopes des alentours d’Azrou (où Tioumliline et son Pieris napi atlantis ne sont plus que de vieux souvenirs), des merveilleuses prairies florifères du Plateau d’Ito, longtemps en défends mais tout récemment arasées et pour toujours par le piétinement et la dent longue du bétail, de l’essentiel du Col du Zad et des rives de l’Aguelmame de Sidi-Ali, victime d’une extrême désertification et où Pieris mannii haroldi, découvert il n’y a guère qu’un demi-siècle, est déjà une espèce posthume au sein de ce « cimetière du Cèdre ». Toutes localités dont les richesses sont parfaitement documentées par les biographies de nos illustres prédécesseurs et dont l’essentiel des découvertes furent le fait de l’entomologiste anglais et pharmacien à Ifrane Harold Powell, et de quelques autres pas moins anglais dont Colin Wyatt. Bien que les recommandations mondiales soient au développement durable et à la lutte contre la désertification, paradoxalement au discours repris par les autorités marocaines, le Moyen Atlas central et l’écosystème de la cédraie voient s’ouvrir leurs derniers périmètres protégés au profit d’un surpastoralisme quasiment sédentaire, jusqu’à la condamnation de reboisements récents et des moindres chances de régénération des biocénoses. Dans ces conditions strictement orientées vers une protection illusoire des seuls arbres (il n’y a pas de forêts sans sous-bois) et la production exponentielle de viande ovine, la flore n’est plus qu’un souvenir, la faune est posthume et le sol, pulvérulent ou étripé, témoigne tristement pour la mauvaise foi d’une prétendue lutte contre la désertification.
Les biotopes y sont (y étaient…) le plus fréquemment les prairies sylvatiques, les causses et les pelouses écorchées, parfois quelques vals avec ripisylves mais aussi les clairières généreuses et bien ensoleillées de la forêt mosaïquée, ainsi que les abords des cultures pour les espèces plus ubiquistes. Le magnifique cortège qui vole (qui volait…) encore dans ces beaux restes du triangle du Cèdre compris dans le périmètre Ifrane-Khénifra-Itzer est composé et caractérisé par : Zerynthia rumina africana, Aporia crataegi mauretanica, Pieris napi atlantis (éteint), Euchloe tagis atlasica (porté disparu), Zegris meridionalis marocana (très raréfié), Anthocharis belia belia, Cigaritis monticola (en situation précaire), Tomares mauretanicus antonius, Cupido lorquinii, Pseudophilotes fatma (en voie d’extinction car tributaire des ultimes périmètres de protection sans cesse violés), Cyaniris semiargus maroccana, Polyommatus amanda pseudotova (en voie d’extinction), P. thersites meridiana (raréfié), Melitaea cinxia empompe, M. aetherie algirica (fragilisé), Euphydryas desfontainii gibrati, Argynnis aglaia lyauteyi (en sursis), A. auresiana maroccana (même remarque), Hipparchia caroli, H. hansii colombati et Satyrus atlantea (en voie d’extinction dans le Moyen Atlas).
Un peu plus au nord, le Massif du Kandar, tout autant saccagé par le parcours en forêt, fournissait encore il y quelques années un effectif comportant entre-autres Euchloe tagis atlasica, Cigaritis monticola, Callophrys avis barraguei, Plebeius martini ungemachi, Euphydryas aurinia ellisoni, Hipparchia fidia benimguildi, Coenonympha arcanioides, etc., dont certains taxons représentent des espèces cardinales. Il conviendrait d’en retrouver la trace, si tant est que l’on puisse arriver avant les Moutons, car même les habitats que nous avions mis en évidence dans les années 90 ont vite été la proie d’une main mise de l’oviculture surnuméraire.
Sur les replis méridionaux du Moyen Atlas central, dont les stations les plus notoires sont le Col du Zad et le Tizi-Taghzeft, se manifestent quelques espèces aux preferendums xérophiles de certaines lisières plus sèches de la cédraie ou propres aux zones tabulaires à substrat dénudé comme : Maurus vogelli vogelli, Plebeius martini ungemachi, P. atlanticus weissi (précarisé par l’appétabilité de sa vulnéraire-hôte et le mode trop aléatoire des périmètres en défends), Pseudochazara atlantis colini et Coenonympha vaucheri annoceuri, ainsi que des taxons nettement plus liés au paysage steppicole (la steppe graminéenne dont celle à Alfa est ici et parfois quasi mitoyenne de la cédraie) et se manifestant alors en complète disjonction avec les cortèges précédemment désignés : Papilio saharae saharae et Euchloe falloui falloui (le ressaut méridional du Moyen Atlas est la limite d’expansion géonémique de ces espèces présahariennes vers le nord), tout comme Chazara prieuri kebira et Berberia abdelkader taghzefti.
Le secteur de Boulemane, du Massif de Tichchoukt et de l’Oued Guigou, avec un microclimat très particulier et ses formations xérothermophiles où domine le Buis des Baléares, engendre une composition originale de Lépidoptères bien caractérisée par la présence de : Plebeius martini ungemachi, Polyommatus albicans berber, Melanargia occitanica moghrebiana, Hipparchia hansii colombati, H. fidia benimguildi, Berberia lambessanus, Coenonympha fettigii inframaculata, C. vaucheri annoceuri, C. arcanioides et quelques autres éléments xérothermophiles plus banals.
Enfin, la partie orientale extrême du Moyen Atlas méridional, particulièrement au Tizi-n-Tanout-ou-Filalli, au Tizi-n-Aït-Ouirra (au-dessus d’El-Ksiba) et au Tizi-n-Ifar, renferme une composition assez particulière et parfois très partielle de la faune du Moyen Atlas.
Le Pays Zaër-Zaïane
Le Plateau Central ne manque pas d’intérêt, avec son influence océanique qui, au Maroc, est très bénéfique aux Papillons, alors que la richesse lépidoptérique de la péninsule Ibérique est nettement plus évidente dans sa moitié méditerranéenne. Les environs de Rabat ne sont pas avares en biotopes tous aussi modestes que féconds, la grande forêt de la Maâmora étant quant à elle totalement vidée de ses Papillons et de ses autres composants d’une naturalité vaincue par des usages sans le moindre discernement. Les collines encore très boisées du Pays Zaër-Zaïane, notamment couvertes de suberaie et d’un beau matorral pluristratifié à arbouseraie, offrent depuis le Djebel Khatouat à l’ouest jusqu’aux alentours d’Oulmès à l’est un dédale d’habitats parfois très sauvages et dont les fleurons sont Zerynthia rumina africana, Cigaritis allardi occidentalis, Callophrys avis et Charaxes jasius, avec parfois au printemps une nuée d’Anthocharis belia belia dont le vol en lisière est du plus bel effet.
Le Haut Atlas oriental
Noté comme l’un des paysages les plus luxuriants du Maroc en 1899 par le Marquis René de Segonzac, la Haute Moulouya, le Djebel Ayachi et les reliefs qui s’enchaînent plus à l’est jusqu’aux hautes terres d’Imilchil dominant les trop fameuses Gorges du Todrâ et du Dadès, ne sont plus qu’un univers désossé et au sol squelettique. Certains secteurs conservant une cédraie finissante, comme dans les parages du Cirque de Jaffar (Ayachi), livrent encore, mais de moins en moins, d’ultimes sujets de Pieris segonzaci, Cigaritis monticola, Maurus vogelli vogelli, Plebeius martini ungemachi, Argynnis auresiana astrifera, Hipparchia caroli, H. algiricus et quelques autres, alors que plus bas, tant sur le versant sud que sur celui septentrional aux confins du Plateau de l’Arid - au nom prédestiné - évoluent les Euchloe présahariens, Cigaritis zohra guercifi, Melitaea deserticola deserticola, Hipparchia hansii edithae, H. fidia hebitis, Chazara prieuri kebira et Berberia abdelkader taghzefti. Quel entomologiste traversant les Atlas n’a pas fait halte au Tizi-Talrhemt, le « Col de la Chamelle » situé au-dessus de Midelt, avant de poursuivre sa route vers le Grand Sud, par les Gorges du Ziz au décor dantesque ? Hélas, de l'Ayachi et du Col de la Chamelle, il ne reste quasiment rien.
Le Haut Atlas central
Les yeux rivés à une carte du Haut Atlas, très à l’est du Toubkal dominant, c’est aussi l’Ighil M’Goun qui caractérise les meilleures altitudes de la partie centrale de cette cordillère de presque 800 km de long. Méconnu des naturalistes et tout particulièrement des lépidoptéristes, conservant tous ses secrets entomologiques, le Massif du M’Goun (sensu lato) ne représente pas moins de 200 km de long et plus de 100 km de large, soit une occupation couvrant 20 000 km2, avec une ligne de faîte s’incurvant vers le sud, dont plusieurs cimes confinent aux 4000 m ou les dépassent, où d’imposantes séries calcaréo-dolomitiques ont façonné un système de reliefs en creux, de parois et de canyons. Dans les talwegs abrités, au-delà de 3000 m, le neige demeure jusqu’en juin. Le versant méridional, très aride, est du type saharien et pour preuve, il accueille jusqu’à 2000 m Melitaea deserticola alticola. Cette véritable Arcadie attend les prospections adéquates, à pied ou à dos de mulets, avec un nombre hallucinant de cols et de hautes vallées à visiter, filet et appareil photos à la main. On peut même en tenter, en véhicule approprié mais périlleusement, la traversée nord-sud. Notre récent acharnement à passer au peigne fin une localité assez facile du piémont nord, à savoir le Tizi-n-Tamda adossé au Djebel Azourki, nous a donné une idée de la biodiversité insoupçonnée de ces montagnes, aux indices tant qualitatifs que quantitatifs. Le bilan spécifique de cette station est de l’ordre d’une cinquantaine de taxons, dont certains inconnus jusque là. S’en dégagent pour leur intérêt (entités nouvelles dues au grand isolement à caractère insulaire) ou leur originalité (souvent en limites d’aires) : Pieris segonzaci, Zegris meridionalis marocana, Cigaritis monticola micromonticola, Thersamonia phoebus, Cupido lorquinii, Glaucopsyche melanops alluaudi, Plebeius martini mgouna, Polyommatus atlanticus atlanticus, Euphydryas desfontainii boumalnei, Argynnis pandora seitzi, A. auresiana astrifera, Hipparchia hansii edithae, Pseudochazara atlantis mounai, Berberia lambessanus x B. abdelkader (population mixte), Coenonympha vaucheri vaucheri, Lasiommata maera (et non encore meadewaldoi qui ne se manifeste que dans le Massif du Toubkal), etc. Plus récemment, Jean-Marie André prospecta avec courage et succès la Vallée du Tassaout, puis le Djebel Igoudamen. Le lot des découvertes, tant en Rhopalocères qu'en Zygènes, fut considérable. Mais l'état des lieux, usés jusqu'a la corde par les troupeaux, ne donne pas grande chance de pérennité à ce fabuleux cortège dont on peux citer, outre la plupart de celles plus avant mentionnées : Iolana debilitata, Maurus vogelii insperatus, Polyommatus amandus abdelaziz, Melitaea deserticola alticola, Satyrus atlantea et plusieurs espèces de Zygènes, dont certaines nouvelles.
Le Mont Toubkal n’a pas bénéficié d’une pareille ingratitude et ses habitats ont été inventoriés depuis longtemps, que ce soit depuis Imlil au-dessus d’Asni, que depuis l’Oukaïmeden dominant la plaine de Marrakech. C’est évidemment un secteur marocain idéal pour tout entomologiste montagnard plus ou moins rompu aux Alpes et aux Pyrénées, quand ce n’est pas au Ladakh auprès duquel il ne fait alors que pâle figure… Il ne faut pas ignorer les conditions d’accueil dans le succès d’exploration du secteur et s’il ne fut pas toujours aisé de se loger, voire même de planter sa tente dans le M’Goun, le Toubkal a depuis longtemps satisfait au minimum de structures touristiques, notamment par l’implantation du Club Alpin Français dès les premières heures du siècle passé. La magnificense des Papillons qui en font la notoriété est désormais connue de tous et ces espèces saupoudrent leurs colonies dans tout le massif et les montagnes avoisinantes pour certains. On pourrait dire qu’entre le Tizi-n-Tichka (reliant Marrakech à Ouarzazate) et le Tizi-n-Test (entre Marrakech et Taroudannt), on a toutes les chances de les rencontrer, dès l’instant que l’on s’élève. Citons pour cette faune orophile : Zerynthia rumina christinae, Pieris segonzaci, Zegris meridionalis marocana, Tomares mauretanicus mauretanicus, Heodes alciphron heracleanus, Cupido lorquinii, Glaucopsyche melanops alluaudi, Aricia artaxerxes montensis, Cyaniris semiargus maroccana, Polyommatus amanda abdelaziz, P. atlanticus atlanticus, Melitaea cinxia atlantis, M. aetherie delacrei, Argynnis auresiana astrifera, Pseudochazara atlantis atlantis, Satyrus atlantea, Berberia lambessanus, Arethusana aksouali, Hyponephele maroccana maroccana, Coenonympha fettigii inframaculata, C. vaucheri vaucheri, Lasiommata meadewaldoi et bien d’autres espèces plus communes ou moins signifiantes.
Le Haut Atlas méridional
Dans la foulée du précédent panorama, il est fréquent de traverser le Tizi-n-Test et de pratiquer quelques arrêts au fil des virages en épingle dans la vertigineuse descente vers la plaine du Souss. On passera alors en quelques kilomètres d’espèces orophiles à d’autres nettement déserticoles, comme de Satyrus atlantea en Colotis evagore nouna, ou de Pieris segonzaci en Azanus jesous, successions induites par la végétation ! L’éventail est largement ouvert et émaillé de quelques perles rares comme Maurus vogelli insperatus des éperons rocheux du plus haut étage (quelques heures sont nécessaires pour y accéder et un bon feeling pour en découvrir les quelques étroites localisations) et Iolana debilitata dont les mâles parcourent fébrilement en mai-juin les frondaisons de Baguenaudiers qui surviennent en berme de route de part et d’autre du col. Comme partout, les lieux sont la proie des Chèvres (piètre revenu pour de considérables saccages…), et il suffisait de parler de développement durable pour que plantes et animaux s’évanouissent comme par enchantement, y compris du Tizi-n-Test, où jusque là tout était intact.
Davantage vers la frange atlantique, quelques vallées dites heureuses et de moins en moins à l’abri du tourisme ravageur, livrent encore quelques espèces intéressantes. C’est le cas de celle, enchanteresse, qui monte aux cascades d’Imouzzèr des-Ida-Outanane, et de quelques autres sites à flore macaronésienne en retrait du Cap Rhir, souvent en arganeraie et jusqu’à la tétraclinaie d’Essaouira, locus typicus d’Anthocharis belia androgyne. Là, le Haut Atlas plonge dans les profondeurs sous-marines.
On pourra aussi visiter les derniers vergers écologiques de la charmante ville de Taroudannt où, entre agrumiculture surpompant sans souci d’avenir la nappe phréatique et production intensive de primeurs hors saison, volent au bord des chemins, dans quelques cultures « mal entretenues », un cortège nostalgique d’espèces vernales, et au fil des seguias, quasiment toute l’année, le très grégaire Danaus chrysippus. Il va sans dire que ces petits paradis sont en sursis puisque tout doit être bradé.
Le Djebel Siroua (Anti-Atlas nord-oriental)
Il n’existe pas de traversée « nord-sud » - ou l’inverse - plus dépaysante sur une si brève distance que celle qui consiste à sauter le Djebel Siroua depuis ses confins avec le Toubkal, de la Haute Vallée de l’Asif Tifnoute jusqu’à son versant méridional surplombant à l’ouest l’arganeraie de la plaine de l’Oued Zagmouzen, ou à l’est sur les hauts plateaux subdésertiques de la région de Tazenakht.
Situé en épicentre d’un considérable édifice montagneux se référant à l’Anti-Atlas nord-oriental et épaulant le Haut Atlas centro-occidental, le Djebel Siroua est une véritable charnière entre l’univers de la haute montagne et refuge d’espèces boréo-alpines relictes qu’est le Haut Atlas sommital, et la steppe désertique de ce Sud-Ouest essentiellement peuplée d’une biocénose de natures afro-érémienne (saharo-arabique) et tropicale (macaronésienne). L’adaptation des uns et des autres éléments des deux grands horizons aidant, on parvient parfois et au prix de fines prospections, à surprendre de bien étranges mitoyennetés entre des taxons venus du nord et d’autres transfuges de l’étage inframéditerranén de type aride. Stratigraphiquement et tectoniquement, le bloc volcanique du Siroua correspond certes au vieil Anti-Atlas anté-mésozoïque, mais cette appartenance relève effectivement bien davantage de l’orogenèse que de la biogéographie ! Ignoré jusqu’il y a peu, nous avons ouverts à nos connaissances l’un des plus remarquables univers de la lépidoptérologie marocaine, fusion, ou plus exactement juxtaposition de faunes contrastées. Citer les espèces de cet écotone reviendrait à reprendre la plupart de celles de l’écocomplexe alticole du Haut Atlas central et de l’Anti-Atlas semi-aride, toutes nuances repérables selon que l’on prospecte à l’intérieur du massif où se développent de remarquables prairies fraîches arrosées de nombreux cours d’eau, ou sur le front sud nettement plus défavorisé et âpre. La station très accessible et bien connue du Tizi-n-Bachkoum est une figure de la seconde catégorie.
La disparité de l’association lépidoptérologique du Siroua est éloquente quand on constate une telle proximité spatiale, souvent guère plus d’une dizaine de kilomètres, entre les antagonismes écoclimatiques d’espèces comme par exemple : les Piérides Zegris meridionalis (ponto-méditerranéen montigène) et Euchloe falloui (oasien de toute la bordure saharienne depuis l’Arabie saoudite jusqu’à l’Atlantique), Colotis evagore (afro-érémien xéro-rupicole) et Pieris segonzaci (hygrophile endémique mais aux lointaines origines holoméditerranéennes), Thersamonia phoebus (endémique ripicole du chaud Sud-Ouest marocain) et Heodes alciphron (transfuge eurasiatique hygrophile), Melitaea deserticola (xérothermophile saharo-arabique) et M. cinxia (praticole eurasiatique), chacun restant évidemment sur ses positions et dans sa propre niche, selon l’étagement bioclimatique et l’exposition des versants. Ces mitoyennetés anecdotiques, fréquentes dans le Sud marocain mais extrêmes dans le Siroua, traduisent bien la richesse des compositions floristique et faunistique du pays originellement le plus favorisé de l’Afrique du Nord par l’originalité de sa situation géographique aux influences très variées.
Un exemple d’ascension de cette tour de Babel des Papillons peut s’effectuer au mois de mai depuis les marges de l’arganeraie jusqu’à la steppe froide montagnarde à coussinets épineux. C’est une véritable odyssée écologique ! Il existe un réseau de pistes assez bien réparti pour traverser le Siroua du sud au nord ou d’est en ouest, avec des variantes toutes plus intéressantes les unes que les autres, à la portée de n’importe quelle Jeep ou Land-Rover. C’est aussi l’occasion de longues randonnées pédestres entre le charme énigmatique des paysages dénudés et celui très « alpin » de belles prairies fleuries pour le bivouac, et de l’onde vive à deux pas du « désert ». Avec la garantie première d’immenses solitudes, du moins jusqu’à la mi-juillet, date de l’arrivée des transhumants qui résident jusqu’à l’hiver bien engagé dans des azibs (villages temporaires de bergeries) très pittoresques. Abordant par exemple le massif depuis le sud-ouest et le village de Taliouine, on s’élève très graduellement au-dessus de la vallée du Zagmouzen, de ses terrasses à safranières et de ses amandaies, par une piste qui serpente entre les lambeaux d’Arganiers, de Gommiers, de Genévriers oxycèdres et de Palmiers nains. La vision panoramique est sublime avec par matins clairs la Haute Vallée du Souss en aplomb, le Lekst au sud et les balcons enneigés du Toubkal au nord. Aux alentours d’Askaoun, on commence à percevoir de nouvelles formations, avec l’Armoise, d’immenses peuplements malodorants de Rue (Haplophyllum tuberculatum), la présence de nappes de Lavandula pedunculata atlantica sur les substrats les plus siliceux et des pans généreux d’Onobrychis argentea, pénétrés d’une Hippocrépide non identifiée. Le Mont Siroua dresse ses 3 300 m sur notre droite, et près du Tizi-n-Tieta (2502 m), nous voici déjà rendus sur le domaine altimontain où, dès la fonte des neiges, les immenses prairies détrempées sont ponctuées du jaune des Narcisses (probablement Narcissus bulbocodium), où l’on peut découvrir par place l’admirable Ranunculus calandrinioides, ainsi qu’une splendide Romulée. Les abords des rives, des suintements, et les bas-côtés les plus frais de la piste sont garnis d’ourlets d’Oseilles sauvages (Rumex scutatus et acetosa), de Chardons et d’Apiacées, l’ensemble formant une mégaphorbiaie de fortune qui aux heures les plus chaudes constitue l’abri bienfaisant de toute une faunule « assoiffée » d’ombre. Au-delà du Tizi-n-Melloul (2506 m), la piste se poursuit par la descente sur la région désertifiée de Ouarzazate et les retrouvailles avec la steppe subdésertique. L’autre issue, en reprenant depuis Askaoun, est de rejoindre vers le nord les confins du Toubkal, notamment en suivant l’Asif Tifnoute, jusqu’à une luxuriante et étroite vallée oasienne où nous entraîne une piste en descente sinueuse et vertigineuse du synclinal, jusqu’au fond de la grande faille scindant le sillon sud-atlasique entre cet Anti-Atlas et le Haut Atlas adjacent. Au fond de cet impressionnant hiatus, il est un long couloir où s’égrainent les villages perdus d’Assarag, d’Imlil (le lac d’Ifni est à porté de jambes...), de Mezguemnat, dont l’excellent microclimat et le double château d’eau garantissent une autarcie agricole quasi paradisiaque. Par Sour et Agouim, on retrouve la route du Tizi-n-Tichka, après en avoir vu « de toutes les couleurs ».
Le Djebel Lekst (Anti-Atlas sud-occidental)
Confiné bien au-delà du Souss, entre Aït-Baha, Tafraoute et Tiznit, le Djebel Lekst (ou Kest) ne présente guère de similitude avec le Djebel Siroua, si ce n’est qu’ils appartiennent tous deux à cet Anti-Atlas fractionné, caractérisé par ses boutonnières précambriennes soulevées à la fin du Paléozoïque et qui en constituent l’actuelle dorsale. On parle de « boutonnières » du fait que ces terrains très érodés ont une altitude plus basse que celle des terrains de couverture qui les entourent. Climatiquement, le Lekst est assez privilégié, avec une bienfaisante proximité océanique qui est celle de tout cet Anti-Atlas sud-occidental qui, depuis la Vallée du Souss, s’étend au sud jusqu’aux marges présahariennes et à l’ouest jusqu’à la mer. Cette région appartient au Maroc cisatlasique, recevant de plein fouet les perturbations du front polaire quand celui-ci descend en hiver vers le sud et ce phénomène rééquilibre grandement les rudes influences de la proximité saharienne. Non loin d’ici, le Col de Kerdous est connu pour « accrocher les nuages » et être souvent, en dépit de sa modeste altitude de 1000 m, enveloppé de brume. Cette situation alliée à l’existence dans la partie centrale d’escarpements et de hautes parois subverticales en ubac, constituent des conditions climatiques très favorables, faisant dès 1500 ou 1600 m échapper cette montagne trapue aux influences présahariennes du reste de l’Anti-Atlas méridional. Ses caractéristiques bioclimatiques sont celles du thermoméditerranéen semi-aride en piémont, du mésoméditerranéen toujours semi-aride en s’élevant, puis nettement subhumide non loin des sommets, dans plusieurs séries de « poches » en ombrées, protégées par des abrupts souvent vertigineux. En dépit d’une faible moyenne de précipitations (200-400 mm) et d’une quasi-mitoyenneté avec la zone à isohyète 100 mm, ces « poches » sont de véritables « jardins des plantes ». Elles constituent les habitats protecteurs depuis peut-être 10 000 à 20 000 ans de quelques éléments biocénotiques, et particulièrement floristiques, attestant du passé humide et forestier datant du temps du Sahara vert, dont la désertification progressive est antérieure au Pliocène. Par places, la phytocénose peut rappeler celle d’un bioclimat subhumide. C’est quelque peu surprenant au cœur de l’écosystème à Argania spinosa et à une latitude si rapprochée du Sahara, là où l’on enregistre d’autre part tant d’avancées de la flore tropicale de type sahélien datant des phases interglaciaires contemporaines et notamment de la dernière pulsation humide de la fin du Würm. Plutôt qu’une barrière à effets d’exclusion, le Lekst apparaît comme un écotone « tampon » agissant en filtre sélectif simultané, tant au niveau des transfuges sahariens que de ceux méditerranéens. Un peu plus au nord-est se dresse le point culminant de cet Anti-Atlas occidental, qui est l’Adrar Aklim et dont les 2531 m surplombent l’intéressant village d’Igherm. Mais l’univers est bien différent et cette fois véritablement aride. Tout le versant saharien, modérément plissé, est ponctué de cuvettes abritant de belles oasis.
Pénétrer dans le Lekst et certaines des montagnes adjacentes est une petite aventure réalisable à pied ou en véhicule tout-terrain, grâce à un réseau de sentiers et de pistes assez bien entretenus. La traversée du Lekst la plus intéressante se fait depuis le versant nord, par exemple au départ de Souk-Khemis-des-Ida-ou-Gnidif, par le Tizi-n-Tagounit, pour descendre ensuite le versant sud jusqu’à Tafraoute par la sublime région de Tanalt, ou bien au sud-ouest, par Anezi et le pittoresque Col de Kerdous. Il y a d’autres variantes, notamment pédestres, avec bien des possibilités pour d’agréables bivouacs dans « la beauté des choses ». Quel que soit le chemin élu, les habitats sont nombreux et variés, parfois perçus au pied d’une de ces majestueuses falaises et demandent alors quelques louables efforts d’approche toujours récompensés par une colonie de Cigaritis allardi estherae (toujours très actif au soleil couchant) ou de Iolana debilitata quand le Baguenaudier préside les lieux. Chaque passage de petit oued voit s’envoler, dans un subliminal éclat rutilant, quelques délicats Thersamonia phoebus adeptes des plages alluvionnaires et qui vont se perdre dans la cohorte multicolore d’un cortège de Zygènes.
Certaines bonnes localités situées dans le pourtour du Lekst sont plus accessibles et nous les avons fait connaître lors de nos premières publications, notamment dans la revue de la Société Entomologique de France tant que dans Alexanor et Linneana Belgica. Il s’agit par exemple et à l’est de Tafraoute du Tizi-Mlil et du Tizi-n-Tarakatine, véritable « jardin des phoebus », au sud du même village de Tafraoute d’un remarquable itinéraire depuis Tlata-Tasrite jusquà Timkyet par Aït-Mansour. Enfin, par la piste à Igherm (désormais asphaltée), dès le secteur d’Aït-Abdallah et de son réseau de grands ravins écorchés, de corridors minéraux où sont confinées les familles de Plebeius antiatlasicus (chercher l’Astragalus caprinus…), masquées lors des années de pluies bienfaisantes, par une nuée de Pseudophilotes abencerragus, de Melitaea phoebe punica et de petits Melanargia ines arahoui, s’ouvre la porte sur un univers franchement déserticole. Il faut être alors bien expérimenté pour pressentir l’existence d’une toute autre gamme très qualitative de Papillons, tant le décor semble de prime abord contraire à la moindre biodiversité. C’est pourtant là qu’avec un peu d’accoutumance on aura le plus de chance de contacter Papilio saharae, Euchloe falloui, Melitaea deserticola et autres membres de l’association présaharienne, fleuron du Sud marocain.
Le monde lépidoptérique de l’Anti-Atlas occidental est illustré par une association bien particulière. Contrairement au cortège du Djebel Siroua très consensuel entre le Nord et le Sud, ici la résonance avec le Haut Atlas est moindre. La composition est propre à l’écosystème montigène à Argania spinosa, très marquée par le subendémisme et cette fois nettement influencée par les espèces franchement érémicoles, aux exceptions près des quelques entités méditerranéennes, liées aux plantes vestiges se maintenant dans les réservoirs subhumides du massif intérieur, fossiles vivants... qui ne datent pas d’hier. En voici un aperçu de l’inventaire, ne citant que les espèces de meilleur intérêt : Zerynthia rumina tarrieri (lequel se retrouve sur la rive droite du Souss, jusqu’en piémont méridional du Haut Atlas et en bas du Siroua, dans quelques écosystème présahariens), Iphiclides feisthamelii (peuplement très dynamique favorisé par les vergers d’Amandiers vierges du moindre traitement phytosanitaire), Papilio machaon mauretanica, P. saharae saharae, P. neosaharae (de toute récente découverte sur une Rue steppicole), Euchloe falloui falloui (parfois rudéral dans les villages quand la Moridandia s’y fourvoie), E. belemia altomontanus (sur les hauteurs écorchées du Djebel Akoumbi), Anthocharis belia androgyne, Cigaritis allardi estherae, Tomares mauretanicus amelnorum (souvent « énorme »), Thersamonia phoebus (endémique très caractéristique de la région), Tarucus theophrastus, T. rosacea, Azanus jesous, Cupido lorquinii (stratégie adaptative de fonds de ravins !), Glaucopsyche melanops algirica, Iolana debilitata (récente acquisition), Plebeius antiatlasicus (quasiment exclusif des lieux), Melitaea didyma harterti, M. punica punica, M. deserticola deserticola et Hipparchia hansii tansleyi.
En
gagnant les abords du littoral, par exemple au-delà du Col du Kerdous (où Zerynthia rumina vole dans les
oueds temporaires de ce secteur…), c’est aux abords du Parc National du Souss-Massa et non loin de Tiznit qu’on peut voir voler, en fin d’hiver et si celui-ci fut arrosé, le plus grand nombre de
grands Papilio machaon mauretanica, d’Euchloe belemia desertorum, d’E. melanochloros et des myriades
d’E. charlonia. Encore un peu plus au sud, les oasis sahariennes et leur respectueux agro-écosystème ne
manquent pas de Papillons…