Avec le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification du Maroc (HCEFLCD), on aura tout essayé !
Prenez de beaux restes écosystémiques, dans ce cas les lambeaux d'une forêt mixte du majestueux Moyen Atlas central, l'un des châteaux d'eau cardinal du Maroc, là où le Cèdre a hélas déjà battu en retraite mais où le noble et ancestral Génévrier thurifère organise un système de relai de haute valeur biologique.
Si vous êtes entomologiste-lépidoptériste, comme moi, vous évaluez le cortège des Papillons de jour qui y ont trouvé asile, tributaires de plantes rares et concluez qu'une entomocénose de plus de 50 espèces, dont de nombreux endémiques et subendémiques partout ailleurs éteints, témoignent en faveur d'une nécessaire protection des lieux. Notamment parce qu'on nous rebat les oreilles de l'urgence de pérenniser les espèces les plus remarquables d'une flore et d'une faune partout sur le déclin, voire défunte, et ce, dans la tendance politiquement porteuse du développement dit durable, agrémenté de listes rouges d'espèces en voie d'extinction, toutes accréditées par d'innombrables conventions internationales signées par les états animés de bonne volonté écologique. Ce qui donne aux pays signataires accès à pas mal de budgets de coopération.
Dans un souci pluridisciplinaire, conviez d'autres spécialistes (botaniste, ornithologue, herpétologiste...) à témoigner de la haute valeur qualitative et quantitative des lieux.
Prévenez l'organisme de tutelle où les compétences et bonnes volontés ne manquent pas, particulièrement dans la relève des nouveaux promus, et vous obtiendrez en des délais bien plus rapides que prévus une mise en défends des lieux, renforcée d'excellentes clôtures de fils de fer barbelé et efficacement annoncée par des panneaux adéquats. Non seulement parce que le Vivant prime, mais aussi parce que lutter contre le drame de la terre dénudée est une priorité dans le programme ultra légitime de la conservation des sols.
La cerise sur le gâteau fut en prime une Réserve de papillons, thématique proposée et acceptée par l'Administration, peut-être la première du genre au Maghreb, voire sur le Confinent africain. De quoi satisfaire pleinement le souci écologique du lépidoptériste que je suis et de quoi satisfaire à la nouvelle demande d'un écotourisme, par ailleurs pas toujours bien inspiré dans ses aspects plus motorisés que pédestres.
Et en bonus, un programme de régénération-reboisement viendra garantir pour un certain temps la tranquillité des lieux, en faveur d'une remontée biologique globale bien pensée.
Dans l'esprit démocratique de vigueur, vous n'aurez pas omis de vous assurer que le pastoralisme local et ses filières ovines et caprines, dit semi-nomade mais de plus en plus ou sédentaire, modernité oblige, dispose d'immensités alentours de pâtures ouvertes et qu'ainsi, "il y en a pour tout le monde".
Le secteur ainsi mis en repos et hors de pression anthropique se nomme Inifife.
Il se situe sur la route de Meknès à Er-Rachidia, entre Timahdite et Midelt, peu avant le bien connu Col du Zad (Zad comme "Zone A Défendre" !!), à hauteur de l'Aguelmame de Sidi-Ali, juste avant le Plateau marécageux de Tannzoult qui reçoit annuellement des transhumances de dizaines de milliers d'herbivores "de bouche", "dès juin" selon l'agdal mais de fait à l'année depuis que la demande en viande est devenue ce qu'elle est. Effrayées au quotidien, les Oies Tadorne Casarca qui y nidifient on ne sait comment, en savent quelque chose. Ceinte de montagnes aux cédraies déboisées ou moribondes, cette région "forestière" d'arbres morts est désignée comme "cimetière du cèdre" par les Marocains. Inifife sera donc la vitrine encore vivante d'une biodiversité passée qui faisait l'apanage de la contrée.
Résumons ce qui pourrait, à première vue, offrir toutes les chances pour que soient consacrées, garanties, respectées de telles mesures de pérennisation :
- Une partie du secteur d'Inifife, celle sur la Province d'Ifrane, se voit intégrée au Parc national d'Ifrane. C'est clairement annoncé sur place !
- L'autre secteur, celui sur la Province de Midelt, est l'objet d'un programme à long terme de reboisement et de régénérationdu cèdre. C'est clairement annoncé sur place !
Eh bien ça ne marche pas !
Peu de saisons après ces mesures, et selon le processus bien connu de la désobéissance maligne avec le sempiternel alibi économique du secteur agricole (période trop sèche... ou trop mouillée !), ajouté du "toujours plus" et cautionné par la petite corruption du "laisser passer" des gardes locaux (qui ont une famille nombreuse à nourrir et quelques bières à acheter...), c'est à raison de dix, puis cent, puis mille têtes que les troupeaux commencèrent à franchir les nouvelles clôtures et à se retrouver vite à l'intérieur des périmètres de protection, barbelés au sol, piquets abattus. Et pour n'en plus sortir. Ce franchissement des périmètres résultant de tricheries récurrentes est un phénomène parfaitement identifié au Maroc et qui aboutit toujours par l'appropriation définitive et malfaisante des lieux. Ils n'en sortiront plus parce que les patrouilles de surveillance brillent par leur absence, parce que c'est chaque jour la fête du mouton ; ils n'en sortiront plus jusqu'à ce que toute végétation soit anéantie, toute broussaille arasée, tout animal petit ou grand évincé, et surtout (ils y tiennent !) jusqu'à ce que les sols soit soigneusement scalpés, dénudés, compactés par l'infernal piétinement, que rien n'y repousse, que toute vie y soit exclue, qu'aucun papillon n'y vole. Parce qu'un papillon, ça ne sert à rien puisque ça ne se bouffe pas.
Fait !
Et après, où aller pâturer ? C'est ballot ! Non, pas du tout !! Ils iront ailleurs, toujours ailleurs, il y a urgence de détruire tout, partout, tout de suite. Après nous le déluge. Après la barbaque le désert. Car le précepte "user, ne pas abuser" est caduque, obsolète, désuet. Déjà, un certain Chateaubriand nous annonçait que « Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », citation que nous aimons reprendre en ce jour où les forêts ne sont plus que souvenirs. En cette époque, il n'y avait pas 100 million et bien davantage d'herbivores domestiques sur les terres du Royaume du Maroc, il n'y avait pas, non plus, 1 million de moutons sur les 50.000 hectares de la figure initiale du Parc national d'Ifrane.
Fiche technique quelque peu caustique, mais l'humour n'est-il pas l'élégance du désespoir ? : si vous souhaitez vraiment lutter contre la désertification, n'utilisez ni moutons, ni chèvres !
Entre indignation et résignation : remerciements.
Dans ce louable effort de chercher à conserver les beaux restes des paysages naturels du Maroc en dépit du laxisme ambiant, je voudrais rendre hommage aux acteurs du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la lutte contre la désertification et au Dr Abdeladim Lahfi, Haut Commissaire.
Je souhaite saluer les efforts d'un homme qui, depuis maintenant plus de dix ans, a tenté d'appréhender en véritable écologue averti et passionné les tâches qui lui ont été confiées au sein de ce Haut Commissariat, il s'agit de Mr Zouhair Amhaouch, anciennement directeur de la Cellule Ifrane, puis du PNIF, maintenant Chef de la Division des Parcs et Réserves Naturelles.
Je n'ai aucune reconnaissance à l'endroit de certains gardes sur place qui se prêtent misérablement au jeu de la déconstruction des écosystèmes, particulièrement par leur vile connivence aux abus des bergers locaux.